Le bruissement léger du vent chatouillant les feuilles et celui de l'eau s'écrasant à grand fracas contre les pierres fit sourire Squall. Il déambula le long du courant, profitant des gouttelettes d'eau qui giclaient sur sa fourrure et qui le rafraichissait. Une douce odeur fruitée envahissait l'air, donnant à la Cascade de Pain un air de paradis. Il scruta le paysage des yeux, appréciant le silence apaisant qui y régnait. Avec la délicatesse d'un papillon, il prit un envol silencieux avec une grâce peu commune pour un mâle, souvent plus passionné par les combats violents que par des gestes gracieux. D'un côté, cette fluidité dans ses mouvements lui avait permit de mâter des ennemis, de sauver sa vie à de multiples reprises, et bien sûr s'améliorer en espionnage. Son corps était magnifiquement sculpté grâce aux longues heures d'entraînements qu'il avait enchainé pendant des années et qu'il continuait à pratiquer presque quotidiennement pour garder la forme.

Le vent qui fouettait son museau et qui se glissait dans ses poils lui fit penser que si il était un jour privé de voler et de parler au vent, il en mourrait. Il aimait trop cette sensation inédite de liberté pour pouvoir s'en passer. Voler fessait partie de sa vie, il en était convaincu et il avait raison. Simplement voler le rendait heureux, mais pirouetter était de loin ce qu'il préférait. Il tourbillonna sur lui même, fessant bourdonner le vent autour de lui. Il se permit de descendre au ras de l'eau, de la frôler du bout des pattes, que l'eau éclabousse derrière lui en se reflétant parmi les rayons du soleil, créant ainsi une multitudes de paillettes aquatiques. Quand il rejoignit le ciel d'un coup d'aile puissant mais silencieux, il resta un instant en suspension dans l'air, regardant avec émerveillement la toile bleue du ciel. Cet instant où il réalise que le monde autour de lui est immensément grand, et que lui est minuscule. Quand il retombe vers le bas, le temps semble s'arrêter pour le laisser penser.

"Je suis un grain de sable sur une plage immense, mais chaque grain de sable est important, car sans lui, la plage ne serait plus."

Ses ailes se tendirent une seconde avant qu'il ne touche le sol, et il posa ses pattes si doucement qu'aucune gerbe de terre ne se souleva d'un millimètre. Il inspira profondément, expira doucement en fermant les yeux.

"Quand tu voles, tu n'est jamais seul. Il y a le vent qui te suit. Malgré cela, pour savoir vraiment voler, il faut avoir apprivoisé le vent. Il n'est pas docile, mais il aime qu'on l'écoute murmurer ou quand on joue avec lui. As tu déjà écouté le vent, Squall ?"

Les douces paroles de sa mère lui revirent en tête, comme une mélodie. Il était petit, et ne comprenait pas tout. Quand le vent lui avait parlé la première fois, il avait comprit qu'elle avait raison. Son père, lui était un peu moins poète que sa mère. Ses conseils se résumait souvent à : "Tu es trop jeune pour comprendre" qu'il disait avec une voie virile et dure. Pourtant, c'était un type vraiment bien et très respecté. Il repensa à cette tête étonnée que ses parents lui avait fait quand il avait annoncé que il allait avoir des louveteaux, et que c'était Moon - La louve qu'on lui avait interdit de voir pendant toute son enfance- qui les portaient. Un mouvement furtif le tira de ses rêveries.
Quand on parle du louveteau ....

Quand Michiga sortit des buissons, Squall poussa un soupir autant agacé que soulagé.

-Euh... coucou papa... Tu sais que c'est trop beau ce que t'as fait.

Il tenta de lui faire un regard dur, mais du se contenter de lui faire une moue désapprobatrice.

-Michiga... Mais qu'est ce que tu fais là ? Soupira-t-il

Ses deux louveteaux, avaient la fâcheuse habitude de s'en aller sans rien dire on ne sait où. Ses deux immenses ailes tricolore se replièrent sur son dos dans le silence complet. Il observa un instant les ailes de Michiga, encore un peu grandes pour elle. Lui, à son âge, traînait ses ailes par terre tellement il les trouvaient lourdes et encombrantes, et ne savait pas courir cinq mètre sans se casser le museau par terre. Il avait aussi faillit se tuer une bonne dizaines de fois. Il secoua la tête. Il fessait des reproches à sa fille alors que lui fessait mille fois pire.

-Peut importe... Dit-il en lui frottant la tête avec la patte.

Il lui sourit en plongeant son regard dans ses deux grands yeux rouges. Il frémit doucement en se rendant compte à quel point il l'aimait et qu'il ne pouvait tout simplement pas se passer d'elle comme de Kovou. Squall se leva et tendit ses deux énormes paquets de plumes qui lui servaient d'ailes.

-Si tu trouves ça si beau, pourquoi tu ne vas pas essayer de le faire, toi aussi ?

Il savait parfaitement qu'elle était incapable de voler comme lui, ce qui était logique. Il savait aussi qu'elle n'était pas particulièrement motivée pour apprendre à voler...

Squall se tourna vers le courant pendant que Michiga marmonnait une réponse.

- Michiga arrête de marmonner , j’entends parfaitement ce que tu dis. Ne me prends pas déjà pour un vieux loup fripé ! La taquina-t-il en riant

Il se pencha et bu quelques gorgées d'eau fraîche.

-Papa, dis-moi, pourquoi il y a des loups avec des ailes, et des loups sans? Pourquoi tout le monde n'en a pas? C'est nous qui ne sommes pas normaux, ou c'est ceux qui n'en ont pas?

Squall faillit cracher l'eau qu'il lui restait en bouche. Il se releva en toussotant et en toisant Michiga d'un air mécontent.

- Tu appelles un loup "normal" un loup qui est comme les autres, mais chaque loup est différent. Il n'y a donc pas de loup "normal" ou "anormal". Je ne veux plus que tu utilise ce mot puisqu'il ne veut rien dire.

Il réfléchit un instant à la question de Michiga avant d'enchaîner.

- Par contre, je ne sais pas pourquoi certains loups ont des ailes et d'autres non. C'est comme si tu me demandait "pourquoi mes yeux ne sont pas de la même couleur que ceux de maman ?".

Il tourna la tête vers le ciel bleuté en souriant. Le vent chatouilla sa fourrure et son sourire s'élargit.

- Mais pour moi, ceux qui n'ont pas le droit de voler ratent vraiment quelque chose de merveilleux. Ils n'ont pas accès à la liberté que l'on ressent lorsque le vent s'engouffre dans nos ailes, ni à l'impression que l'on peut aller toucher les étoiles et survoler toutes les limites. Certains disent que nous sommes des anomalies, des fous. Mais ne sont ils pas simplement jaloux que nous sommes plus proche de la nature que eux ne le seront jamais ? Il y a tant de chose que ni toi, ni moi ne comprendront un jour. Tiens, regarde !

Il montra une feuille morte qui tombait doucement d'un arbre en la désignant de la patte.

- Tu vois cette feuille ? A ton avis, pourquoi tombe t-elle ? Pourquoi est elle toute fanée ? Pourquoi ne tient elle plus à sa branche ? Je ne saurais que te répondre "Parce que c'est bientôt l'automne", mais cette réponse te laisserais sur ta faim. Je ne peux pas non plus te dire pourquoi nous avons des ailes !

Michiga batailla contre la feuille que Squall avait désigné, ce qui le fit sourire. Il l'observa se mouvoir avec ses ailes, et vu que ces ailes la gênait dans bien des mouvements. Squall n'avait pas su courir sans tomber jusqu'à la fin de son adolescence, et il n'était donc pas étonné que Michiga était tout aussi maladroite. Quand elle revint vers lui, trainant ses ailes par terre sans aucun soin, il fit une moue déçue.

-Est-ce qu'on peut se débarrasser des ailes?

Il toussota de stupeur, avant de déglutir péniblement.

-Michiga tu n'as jamais tenté de voler, comment peux-tu vouloir te débarrasser de tes ailes ?

Il soupira avant de continuer.

- Moi aussi mes ailes m'énervaient profondément quand j'étais petit, mais désormais, les perdre rendrais ma vie triste et morose. J'ai appris à une louvette comme toi à voler, et elle non-plus ne se détacherait de ses ailes pour rien au monde... Que tu veuilles te séparer de tes si jolies ailes me rend vraiment triste...

Squall sera les mâchoires, respira profondément pour ne pas s'énerver. Puis il se remémora un instant son passé. Quand il avait réussit à voler, il ne se déplaçait que par les airs, de peur de tomber ou de trébucher. Puis il avait apprit ce qu'il lui manquait avec Rheina...

"Colle tes ailes contre ton corps, comme un oiseau..."

Il s'approcha de Michiga, retira ses ailes de sous ses pattes et les colla contre son corps, de sorte à ce qu'elles ne traînent pas dans ces pattes.

-C'est un mouvement qui tire un peu au début, mais si tu le fait souvent tu ne sentiras plus rien dans deux ou trois jours. Après le mouvement viendra naturellement. Au moins, elles arrêteront de traîner dans tes pattes et tu arrêteras de me dire qu'elles te gênent et que tu veux les retirer. Dit-il d'un ton de reproche.

Michiga tenta de garder ses ailes contre son corps, mais n'y parvenait que quelques secondes. Elle réussit, avec toute son énergie à les garder plaquées contre son corps plus longtemps, mais elle retombèrent mollement au sol.

-Mais ça fait trop mal! Comment tu peux les tenir comme ça? En plus les tiennent elles sont plus grandes et plus lourdes. T'as pas mal?

Squall secoua la tête, puis replaça les ailes de Michiga, en les tenant avec ses pattes.

-Non. Je n'ai plus mal depuis que je m'entraîne. Les ailes c'est du muscle tu sais, et moi je vois que tes ailes sont toutes molles.

Il les secoua en ricanant, comme pour provoquer sa fille.

- Et tu ne devinera jamais comment je me suis musclé les ailes !

Il approcha sa gueule de l'oreille de Michiga.

-En volant ... Murmura-t-il

Aussitôt, il attrapa Michiga par la peau de cou, et l'emmena sur les hauteurs de la Cascade. Quand il la posa, Squall fit bien attention à ce qu'elle ne s'échappe pas en la retenant avec sa patte, presque aussi grosse que la tête de la louvette.

- Avant d'apprendre à voler, il faut apprendre à être courageux !

Il la reprit par la peau du coup, et en quelques coups d'ailes, prit son envol à toute vitesse...