Elle avait passé la journée à observer la mer, comme elle le faisait chaque jour depuis qu'elle avait émergé de l'eau. Un jour, elle reviendrait, un jour, elle remettrait les pattes dans son clan, dans ses terres...Mais pas maintenant. La demoiselle aux yeux de sang inspira profondément. Voilà déjà quelques mois qu'elle avait échoué sur cette étrange île sortie de nulle part. Que faisait-elle ? Elle était libre, voilà tout ! Elle, qui avait toute sa vie aimé la solitude et la nature, se retrouvait ici face à l'immensité du monde. Elle émit un rire clair. Était-elle à ce point égoïste pour ne penser à personne d'autre qu'à elle ? Oui, peut-être un peu. Toujours est-il qu'elle s’efforçait de ne pas songer à Wildstorm la journée, puisqu'il envahissait de façon atroce ses rêves. Des corbeaux coassèrent au dessus de sa tête. Elle salua ses amis d'entant qui paraissaient la suivre comme une cape de mort.

Kenya savait bien que la guerre était finie, elle savait aussi que les survivants avaient trouvé l'île et que certains l'exploraient régulièrement. Alors pourquoi, pourquoi n'avait-elle pas crié, appelé à l'aide ? Pourquoi n'était-elle pas rentrée pour retrouver sa fille, pourquoi n'avait-elle pas même demandé si cette dernière était en vie ? A vrai dire elle ne le savait pas elle même, elle avait simplement constaté que son premier reflex lorsqu'elle avait entendu des pas pour la première fois avait été de se cacher. Peut-être l'isolement faisait partie de son processus de deuil. Elle ne s'était pas posé la question. Elle s'était contentée d'apprécier ce que le monde avait de nouveau à offrir à ses yeux qui avaient vu tant d'horreurs.

Le soleil disparut derrière l'horizon, et elle lança, d'une voix éraillée mais néanmoins charmante et enjouée :

"Au revoir Soleil ! A demain !"

Elle n'était pas devenue stupide au point de penser que le soleil avait besoin qu'on lui dise au revoir. Non. Merci, elle avait encore la chance d'être vive d'esprit. Seulement, depuis peu elle réappréciait les choses simples.

La louve aux larmes sanguines tourna le dos à la mer pour s'enfoncer dans une cavité à peine visible : Sa cachette. A l'intérieur, une grotte immense, colossale, dont les cristaux immenses brillaient tantôt rouges tantôt bleus. Les spectacle était fascinant et c'est dans cet espace immense et majestueux que Kenya, elle, la toute petite, l'étrange, la fille fantôme, avait décidé d'élire domicile le temps de trouver le bon moment pour faire son retour dans ce que l'on pourrait appeler la vraie vie.
Elle avait appris à se servir de cet espace et elle s'y fondait à merveille. Les murs donnaient à sa voix de l'écho et de l’ampleur, tandis que les milliers de cristaux reflétaient son image à l'infini si elle se mettait à un certain endroit, dans un certain angle. Le sol était évidemment couvert d'eau, mais en s'enfonçant, on remarquait des dunes sur lesquelles on pouvait dormir au sec et à l'abris des regards, puisque ces monticules de sable n'étaient pas visibles depuis l'entrée de la Grotte. Elle affectionnait ce lieu, muet et plein de mystères.

La jeune femelle se plaça sur une dune et roula sur le dos, les pattes en l'air. Sa longue crinière s'éparpilla autour d'elle. Dans cette position, elle observa, avec un grand sourire le plafond aux milles reflets, et regarda son propre reflet, dans cet arc-en-ciel. Elle considéra la dangerosité du lieu au cas où les cristaux du hauts venaient à tomber et à la....Un bruit. La demoiselle ne bougea plus d'un poil et tendit l'oreille. Elle régula même son souffle, afin que celui-ci ne soit qu'à peine perceptible. Comme quoi, être espionne lui servait. Ecouter et ne pas se faire voir, c'était son truc.

Mais bordel...Qui pouvait bien avoir trouvé l'entrée de son sanctuaire ?

Elle sursauta lorsqu'une voix grave s'adressa à elle, et, toujours sur le dos, les quatre pattes en l'air, elle tourna lentement la tête jusqu'à ce que ses prunelles sanglantes se posent dans le regard froid d'un loup qui se tenait à une bonne distance d'elle. Silencieuse, elle le détailla tranquillement, prenant le temps d'examiner chacun de ses traits, laissant peser un silence oppressant, approprié à la situation dirons-nous. La demoiselle semblait muette et son regard dur paraissait être plein de reproches envers cet inconnu qui aurait pu lui épargner sa visite. Elle chercha dans tous les dossiers de sa tête et...Bingo ! Darksky.

Un rictus vint se loger au coin de ses babines. Bien. Elle savait qui il était. Là était l'un des avantages à l'espionnage, Kenya, au fil du temps, avait appris à connaitre comme sa poche les territoires, mais aussi les personnes. Ainsi, il était rare qu'elle se perde, tout comme elle ne se trouvait presque jamais en face de totaux inconnus, même si, eux, bien souvent, ne la connaissaient même pas de vue, ne se doutant pas qu'elle les avait déjà sans doute espionné au détour d'un buisson. Elle reconnut cependant qu'elle ne connaissait de ce loup là que son clan, son nom, son grade, et le fait qu'il n'était pas connu pour être des plus chaleureux. C'était tout.

La demoiselle roula sur le coté pour enfin s'asseoir et jeta un regard défiant au mâle qu'elle surplombait légèrement du fait qu'il soit dans l'eau, et elle, sur le sable. Elle aurait tant aimé mesurer deux fois sa taille, être un loup robuste à la carrure imposante qui l'aurait fait déguerpir vite fait bien fait. Mais voilà : Kenya, elle était toute petite, plus que la moyenne, et la seule chose d'effrayant chez elle pouvait être ses marques morbides sous les yeux qui semblaient la faire pleurer du sang. Ça, et sa longue mèche blanche fantomatique qui traînait au sol lui donnaient toute fois un aspect assez glauque. Son regard lui aussi, s'était embrumé depuis les derniers événements en date; il était franc et sec, sans pour autant être agressif, tout ses gestes et toutes ses mimiques semblaient juste dire : Foutez moi donc la paix.

Elle arqua un sourcil et considéra le grand mâle avant de lancer, froide :

-Mh. Je te déconseille de faire un pas de plus. Non, sérieux, il parait que ce sont les plus petites qui sont les plus teigneuses.Elle émit un léger rire cynique. Tu voudrais quand même pas te faire griffer, allons.

La louve aux yeux de sang le toisa du regard. Autant, elle, ses yeux rouges pouvaient faire peur, mais lui, les siens presque blancs avaient quelque chose d'effrayant. Ce loup, d'ailleurs était bizarre, tout en lui avait l'air de vouloir la mettre mal à l'aise. Keny sauta de sa colline et atterrit les pattes dans l'eau. Brusquement, elle coupa cours à la langueur qui s'installait et lança, de sa voix la plus franche, les yeux dans ceux du visiteur :

-Qu'est-ce que tu fais là ? Tu cherches quelque chose, Darksky ? Elle avait terminé en laissant bien traîner les syllabes de son prénom, un léger rictus au coin des lèvres. Elle laissa un silence, puis lentement, elle reprit place sur son monticule de sable. Non...parce que je te pense assez intelligent pour capter qu'ici...Il n'y a que des cristaux.

Elle avait fait mouche. Il arrêta de sourire. Kenya savait à quel point il pouvait être déstabilisant d'entendre un inconnu prononcer son nom. Ça avait quelque chose d'intrusif, de violent. Un nom, c'est personnel, un nom, c'est la racine que l'on nous donne dès que l'on vient au monde. Alors pourquoi ? Pourquoi elle, se donnait-elle le droit de s'approprier le nom de tout le monde ? Pourquoi avait-elle le droit de passer dans chaque vie sans que jamais personne ne la remarque ? Dis donc, jolie poupée, ce n'est pas fair-play,  un jour, on te coupera les oreilles et on t'arrachera ces yeux de malheur !

Le loup se rapprocha. Plus qu'elle ne l'avait prévu, et, instinctivement, alors qu'il tournait autour d'elle et qu'elle crut presque sentir son souffle par moment, elle comprit qu'elle devrait changer de méthode. Adoucir son jeu. Mieux choisir ses mots. Comprenez que la demoiselle ne faisait pas partie de ces têtes brûlées, cherchant à tout prix la confrontation dans l’impertinence. Il y a quelque chose de tellement stupide et de si peu subtile dans la rébellion constante. L'art, le vrai, c'est de faire glisser l'autre vers ce que l'on attend de lui, sans que ce dernier ne s'en rende compte. On évite du moins de se faire fracasser la gueule. Bon point, non ? Kenya ne se prétendait pas mieux qu'un autre, elle aspirait seulement à ce que ces autres, justement, lui foutent allègrement la paix.

Elle voulu ouvrir la bouche pour lui répondre, mais aucun son ne sortit. Le souvenir de Wildstorm lui revint en pleine face. Depuis lui, personne ne s'était approché aussi près d'elle. Il lui manqua, et son cœur se serra en même temps que se crocs. Sa mine d'enfant boudeuse se renforça. Doucement, sans violence, elle fit se gonfler autour d'elle une bulle d'air, qui, comme une force invisible poussa le loup de quelques centimètres. Elle ne voulait pas l'envoyer chier brutalement, seulement poser des limites. Elle avait conscience que l'agressivité encourage l'agressivité, et, honnêtement, elle n'avait pas envie de se retrouver avec une patte en moins ou un gosse dans le bide, juste à cause d'un manque de contrôle. Elle se racla la gorge.

-Kenya. Moi, c'est Kenya. Son nom, il pouvait bien le savoir, elle s'en fichait, car il n'évoquait jamais rien à personne. Si, peut être aux femelles de l'air, jalouses que ce soit elle qui ait pu se taper l'alpha. Voilà tout. Elle esquissa un sourire, preuve d'un reprise en main. Certains m'appelaient Red Queen mais...c'est très égocentrique, comme nom. Beaucoup trop de carrure pour qualifier ce qui n'est, en fait, que moi. Rien de plus intéressant qu'un cristal, crois moi.

La demoiselle plongea son regard sanglant dans les yeux froids de Darksky qui affichait un air libidineux plus que glaçant.

-Quant à comment j'ai pu connaitre ton nom...je suppose que l'on a tous nos petits secrets ! Mais ne va pas penser que je le connais parce que je me suis intéressée à toi spécialement. Je connais des milliers de noms, et des milliers d'endroits, et tu veux savoir ce qu'il y a de plus drôle ? Elle émit un rire qui se brisa, puis haussa les épaules, C'est qu'au final, tout se vaut, rien ne sort du lot...C'est d'une absolue platitude.

Elle arqua un sourcil interrogateur.

-Toujours est-il que ma question reste sans réponse...Ne me dis pas que c'est moi spécialement que tu cherchais ! Elle pencha la tête, quelques mèches lui revenant sur les yeux. J't'en pris, je ne vais pouvoir contenir mon égo si tu le flattes comme ça!

Quelques cristaux tremblèrent ai dessus d'eux, elle n'y prêta pas attention...

Ce loup n'avait rien de sain en lui, clairement et Kenya se désola de tomber sur un pareil taré alors qu'elle tentait désespérément de se reconstruire. Il s'était rapproché, ignorant allègrement son premier message de refus, ainsi, alors qu'il posait ses yeux sans couleur sur elle, son poil s'hérissa imperceptiblement. Il commençait à titiller ses nerfs, à l'agacer et cela se traduisit par une moue insatisfaite et un sourcil arqué. Merde à la fin. Il souriait beaucoup trop, et l'envie de lui arracher ce sourire lui chatouillait les crocs. Lorsqu'il acheva sa phrase en se décollant d'elle, elle lui asséna son plus beau sourire, en découvrant toute ses dents tout en le regardant bien dans les yeux avant de répondre d'un air amusé, en faisant un pas vers lui. Elle rit. Un rire claire, pur.

- Les rêves et l'insouciance contre la dure réalité ? La solitude plutôt que la médiocrité des autres loups ? Tu parles bien, bravo, c'est sûr que c'est toujours plus impressionnant de parler à quelqu'un qui sait bien tourner ses phrases ! Elle s'approcha d'un pas encore. Seulement, c'est bien dommage, puisque je suis quelqu'un de passablement terre à terre, alors tu m'excuseras, mais les rêves et l'insouciance, tu sortiras ça à tes petites mijaurées de l'eau rêvant d'amour et d'air pur, mh? Tu devrais d'ailleurs les rejoindre, mais ce n'est que mon avis. Un pas de plus. Je ne suis pas lassée du monde, parce que si tu considères que "le monde" se résume à notre espèce, c'est bien dommage. Plus près, jouer à son jeu. Vous autres vous êtes trop bruyants, voilà tout, j'avais besoin de calme.

Elle s'arrêta à moins de deux centimètres de lui. Elle sentait son souffle, et il sentait probablement le sien. Elle chercha dans ses souvenirs d'espionne. Elle chercha dans ce qu'elle pouvait trouver pour le déstabiliser. Puis, tout à coup, elle se souvint. Elle se souvint d'une histoire plutôt glauque qui avait fait, passé un moment, le tour des terres. Une histoire qui avait été racontée aux louveteaux pour les dissuader à jamais de tisser des liens avec les membres d'autres clans. Elle ricana. S'il l'avait cherché, il venait de la trouver. Elle s'écarta.

-Je vais te raconter un histoire, puisque c'est vrai, je ne t'ai pas répondu quand au fait de ma présence ici...Faudrait tout de même pas me penser malpolie ! Alors voilà...Elle se déplaça jusqu'à descendre de la colline et mettre les pattes dans l'eau..C'est une histoire toute conne, une histoire de fille fragile si tu veux mon avis, mais peu importe. Mon petit cœur de nunuche a été réduit en bouilli. Oui une belle bouilli bien sale! Et comment? Je te le donne en mille : Quand Brume, votre ancienne Alpha a trouvé la mort en affrontant notre alpha, Wildstorm, qui est mort aussi. Elle le regarda du coin de l’œil, son ton était froid, sa voix ne tremblait pas. Elle prenait sur elle d'une façon qu'elle n'aurait jamais crue possible. Il se trouve que l'alpha de l'air, c'était aussi celui avec qui je partageais ma vie. C'est bête, hein ? Bon alors, oui, comme j'ai pas pu faire les choses normalement, je me suis tirée, j'ai même laissé ma fille sans rien dire au milieu de cette guerre, si tu veux tout savoir ! Elle esquissa un sourire, Je suppose que je suis quelqu'un de monstrueusement égoïste ! Elle sauta entre les cristaux, et instantanément, son image se refléta des milliers de fois aux quatre coins de la grotte, sa voix, décuplée, résonnait et prenait un air macabre. Mais..des histoires débiles d'amoureux brisés, il y en a plein, pas vrai ? Je suis d'ailleurs surprise de tant d'insistance, il me semblait que les filles de la terre étaient plus à ton gout...Elle réapparut derrière lui, et, tout en s'approchant, elle lui murmura à l'oreille, dans le fond..j'ai beaucoup de chance, de ne pas avoir le sang de mon unique amour sur les pattes...moi. Comme ultime provocation, elle lui lécha la joue.

Si elle devait perdre trois pattes à cause de ce tordu, elle préférait que ce soit justifié, et qu'elle l'ait au moins un peu cherché ! La demoiselle aux yeux de sang n'avait jamais été méchante, ni même sadique. Peut-être même qu'elle regretta un instant de remuer ainsi certaines plaies. Peu importe.

Ok Kenya. Bien joué, t'as réveillé la colère du taré complémentent psycho. Applaudissements ! La demoiselle, tandis que ses battements cardiaques s'emballaient, réfléchissait à vitesse grand V à la façon de se sortir de ce mauvais pas. Demander pardon ne suffirait sans doute pas. Dommage. Son pouvoir ne fonctionnait pas lorsqu'on la touchait, il fallait un petit espace pour permettre à la bulle de grossir. Elle but la tasse. Encore. Soudain, la peur de se noyer prit le dessus sur celle d'être tuée par X monsieur muscle. Elle ne voulait pas revivre ce qu'elle avait vécu avant d'échouer sur cette île. Elle ne voulait pas se noyer. Elle releva la tête, toussa, et inspira une grande bouffée d'air. On a pas idée d’immobiliser les gens dans l'eau ! En plus, elle ne pigeait que la moitié des mots qu'il disait, l'eau lui rentrant une fois sur deux dans les oreilles ! "Lâche-moi" Elle tenta de se débattre, sans succès. Elle maudit Dame nature de l'avoir faite aussi petite. Quelle salope celle-là, elle lui en devait une !

Se débattre ne faisait que la fatiguer plus encore et chaque mouvement lui était douloureux et lui faisait perdre du souffle. Elle pensa à Wildstorm comme on pense au loin à une bouée salvatrice. Sans se l'expliquer, elle parut sortir d'elle même. Elle se revit dans leur tanière, l'un contre l'autre, elle se revit dans l'eau fraîche du lac d'argent, elle repensa à Wildstorm, rentrant fatigué par son rôle d'alpha et qui jamais pourtant n'avait élevé le voix contre elle alors qu'elle pouvait vraiment être la pire des chieuses. Il se contentait toujours de la regarder comme on regarde la chose la plus précieuse au monde. C'est ce regard posé sur elle qui lui manquait. C'est la chaleur de quelqu'un qui vous aime. Elle expira une ultime fois et cessa de se débattre, sa tête tomba, engloutie de moitié dans l'eau. Les larmes lui étaient montées en pensant à Wildstorm. Mais sans doute que l'eau cachait ça. Elle tremblait, l'eau était froide.

J'ai froid, je voudrais bien sortir de l'eau. Sa voix n'était qu'un murmure sans relief, comme si penser à tout ça avait finalement fini par la tuer à la place de Darksky. Elle le regarda, pour la première fois depuis qu'elle était dans cette position fort déplaisante. Dis..Elle a perdu tant d'importance à tes yeux, pour ne plus avoir de prénom ? Elle expira, l'eau lui bouchait une narine. Moi, je n'appellerai jamais Wildstorm "le loup". Mais sans doute aimons nous tous différemment, c'est vrai. Elle se tût, et regarda les cristaux au dessus d'eux. Alors, c'est quoi la suite ? Parce que tout dépend de toi, comme tu peux le constater, je n'ai pas la pleine possession de mes moyens. Si tu veux tout savoir, je me fiche de savoir si je peux ou non crier aussi fort qu'une autre, je sais seulement que n'importe quelle personne qui crierait ici briserait le fragile équilibre de la grotte et se prendrait une multitude de ces cristaux sur la gueule. Elle le regarda de nouveau, Allons Darksky, ne me dis pas que tu veux y passer avec moi, même pour la beauté du geste ? C'est marrant, on pourrait presque bien s'entendre. Avoir peur de mourir connement ici était une terrible sensation.

Il l'avait lâché ! Par on ne sait quel miracle il n'avait pas fait d'elle un tas de chairs sanglant. Ses griffes, pourtant, s'étaient enfoncées assez profond pour laisser des marques qui saignaient. Kenya s'empressa de filer au sec derrière les nombreux cristaux qui semblaient la protéger tout en diffusant son image partout. Elle tremblait. Avait-elle froid ou était-ce la peur ? Un peu des deux. Elle était frigorifiée, à vrai dire, et fatiguée. Il faisait nuit, après tout, et son poil à présent mouillé entièrement la protégeait mal du froid mordant qui s’engouffrait dans cette cavité semi sous marine. Elle lança un regard plein de haine à ce loup complètement taré. Qu'il dégage. Ces jeux sordides n'amusaient plus la belle et elle voulait à présent ce qu'elle avait toujours voulu depuis son arrivée ici : être seule, et non en compagnie des plus gros cas sociaux de la terre. Dans le fond, elle se fichait qu'il ait tué sa meuf. Dans le fond, elle se fichait qu'il l'ait aimé ou non. Dans le fond, gars là, il lui était inconnu, il n'était même pas de son clan.

Kenya lécha ses plaies avec amertume. Elle ne souffrait pas tant que ça, mais son égo avait largement été piétiné. Elle se garda bien de lui répondre qu'elle n'avait rien à foutre du jugement des uns ou des autres à son sujet, n'étant tout de même pas suicidaire. La mort non plus ne l'effrayait pas, Red Queen étant une pure réaliste, elle estimait qu'il n'y avait rien après. Ni sensation, ni paradis, ni enfer, on ne retrouvait pas non plus les gens disparus avant nous. Le cerveau s'arrêtait et c'était tout. Plus rien. Mourir, c'était autre chose. Parce que si on ne sent pas qu'on est mort, se sentir mourir, par contre, ça ne devait pas être le plus grand des fun. Autant s'épargner ça le plus longtemps possible, alors. Simple avis.

Elle se roula en boule. Les derniers rayons de lumière s'estompèrent, et l'eau, claire de jour, ressembla soudainement à une marrée plus noire que la suif. Dans cette obscurité naissante, Kenya  tenta de se réchauffer, sans bruit, souhaitant intérieurement que Darksky se soit lassé du joujou qu'elle représentait. Le sel rentrant dans les écorchures qui lui avait infligé lui rendait le repos impossible et le sentiment de sa présence malsaine planant toujours au dessus d'elle lui était insupportable.

Un bruit soudain de vague la fit sortir brusquement de sa torpeur. La louve aux yeux rouges releva brusquement la tête. Merde, c'est vrai. La marée ! Chaque soir, la marée montait de façon à totalement engloutir la sortie de la grotte, et à moins de ne s'enfoncer assez vite au plus profond de la cavité, on mourrait  tout simplement noyé, l'eau remplissant la cuve jusqu'au plafond. Son cœur s’accéléra en même temps que ses pupille rétrécirent. Il fallait agir, vite. Merde, merde, merde marmonna-t-elle pour elle même alors qu'elle sautait de cristaux en cristaux avant de se résoudre à se jeter tout bonnement dans l'eau glacée qui déjà montait à une allure folle. J'espère pour toi que les loups de l'eau savent nager, maugréa-t-elle en serrant les dents. Qu'il se noie, ça lui importait peu ! Argh la demoiselle grimaça à cause de l'eau salée qui la fit souffrir. Elle nagea vite, pour atteindre un endroit plus reculé où l'eau était encore basse et où elle avait pieds. Essoufflée, elle n'eut pourtant pas le temps de reprendre ses esprits.

Maintenant, il fallait courir.

Courir, oui, mais quand on fait la moitié d'un loup normal et qu'on se traîne la chevelure de Raiponce, ça devient tout de suite vachement problématique.

Kenya, qui courrait (oui oui, elle courrait bien!) sentit soudainement le poids de sa chevelure s'alléger considérablement. Qu'est-ce que...Ah ! Nom de dieu mais c'était le taré ! Euh, Darksky. Dans un rapide calcul d'équivalence elle se demanda si elle ne préférait pas galérer seule plutôt que d'être aidée par ce type. Mais l'heure n'était pas aux remarques désobligeantes, et elle fut bien obligée d'admettre qu'accepter cette aide lui était plus que nécessaire.

Enfin, après plusieurs minutes de stress intense, le fond de la grotte se fit voir et la demoiselle aux yeux de sang fut heureuse de mettre les pattes sur la terre ferme. Elle était trempée, blessée et en compagnie d'une personne douteuse, soit, mais au moins, elle était en vie et elle se félicita de ce constat. Son souffle saccadé eut du mal à reprendre son rythme normal, mais lorsque ce fut le cas, elle regarda du coin de l’œil, anxieuse, ce que pouvait bien foutre le grand mâle de l'eau. Un service n'est jamais gratuit chez les loups, elle ne le savait que trop bien. Pourtant, un merci lui aurait écorché la gueule, alors elle ne dit rien. Après tout, elle ne lui avait rien demandé. La demoiselle considéra d'un œil morne les quatre plaies sur son flanc. L'eau et le sel les avaient boursouflées, ça piquait et ce n'était pas très joli à voir bien qu'au fond il s'agissait là de blessures superficielles.

-Il n'y a rien là bas. C't'un cul de sac, enfin, c'est une grotte, quoi, pas un tunnel. Je le sais. Je squatte ici depuis assez de temps. Se contenta-t-elle de lâcher dans même se retourner. Quitte à être coincée ici avec lui, autant le mettre directement au courant avant qu'il ne se tape toute l'exploration de la cavité pour rien et qu'il reviennent énervé pour se calmer les nerfs sur elle. La demoiselle entreprit de nettoyer son pelage pour retirer le maximum de sable et d'eau de ce dernier. La marée retombe au soleil levant, là, tu pourras partir, en attendant, on est en coloc'. Oh, je te rassure, ça m'enchante autant que toi.

Keny soupira...Ni agacée, ni quoi que ce soit. Seulement un soupir plein de lassitude. A vrai dire, elle commençait à en avoir marre de cette poisse qui semblait la suivre. L'enfance nulle ? Pour elle ! Le malheur de la perte d'un être cher ? Pour elle ! La grotte avec le malade mental ? Pour sa gueule encore ! Elle se plaignait peu, et au final ne passait jamais cent ans à s'attarder sur les malheurs de la vie, mais là, c'était le pompon. Mais qu'ils aillent tous se faire foutre ! Sérieusement, c'est quoi leur problème ? Avait-elle vraiment la tronche de celle qui a envie qu'on engage une discussion avec elle ? Non. Alors c'était aussi simple que ça : Qu'on lui foute la paix. Pourquoi cette envie constante de se sociabiliser ? Même si en l’occurrence elle se doutait que Darksky n'était pas un loup qui tentait de se "sociabiliser".

Mademoiselle rouge maugréait donc ses injonctions contre le monde entier dans sa petite tête, dans le plus grand des silences tout en affichant un air renfrogné.

Un fois propre, Kenya se laissa tomber au sol, frissonnante. Elle se caillait un peu, mais elle était aussi franchement épuisée. Elle ne savait pas si ce gars là était un surhomme...Euh..un surloup, n'ayant jamais besoin de sommeil, mais toujours était-il qu'elle n'était pas dans son cas et que ses yeux commençaient malgré elle à se fermer tous seuls. Cependant, l'idée de s'endormir avec Darksky rodant dans les parages ne l'enchantait pas des masses. La demoiselle se roula en boule dans un coin, entre deux cristaux, tentant tant bien que mal de chasser ses peurs.

Sans s'en rendre compte, elle commença à sombrer doucement dans un demi sommeil, stressée et frigorifiée, sursautant à chaque bruit.