| Sujet: Certains matins de printemps ont une fraîcheur de grenouille [libre] Lun 11 Avr - 23:41 | |
| Matin. Soleil. Chaleur. Odeur printanière. Loups heureux. Louveteaux qui rient. Papillons qui volent autour des oreilles des loups. Oiseaux qui chantent presque devant les tanières. Gibier qui revient en abondan.... Ha, non, ça c'est bien en fait. Où en étais-je? Ha, oui: autres mâles qui me saluent en souriant. Femelles en train de regarder les mâles du coin de l’œil en gloussant. Et la liste n'en finit pas. Au plus la matinée avançait, au plus les autres loups me donnaient envie de fuir. Leurs attitudes si gentilles, aimables, agréables... beurk! Le printemps leur est tous monté à la tête...
Fuyant le confort du clan et la gaieté maladive des autres loups, je sortis tester la joie de cette nouvelle chaleur sur les nombreuses proies. et elles devaient être très heureuses, pour être toutes de sortie. Je ne pouvais pas faire trois pas sans sentir une nouvelle odeur de chaire fraîche. Que de choix pour mon petit déjeuner! Mais il fallait que je me décide rapidement, la destination que j'avais choisie n'est pas un lieu où l'on trouve beaucoup de nourriture. Je ralentis finalement pour prendre le temps de choisir entre deux repas potentiels: un écureuil, parti se réfugier dans un arbre à porté de gueule en m'entendant arriver, ou un lapin qui grignotait encore quelques baies arrivées très tôt cette année sur un buisson rachitique. L'écureuil a meilleur goût, et en plus il est plus proche, mais le lapin est plus gros, et ce matin j'ai faim. Ce sera donc lapin au petit déjeuner. Je pris la direction du petit buisson, le corps le plus près possible du corps, très léger sur mes pattes pour qu'il ne m'entende pas. Je n'avais pas besoin de me soucier de mon odeur, le vent était de mon côté: totalement absent! La stupide boule de poils ne vue rien venir: un instant elle mangeait des baies, le suivant elle était ensanglantée, encore agitée de spasmes, le cou entre mes crocs qui se refermaient lentement sur sa vie. Le sang a un arôme unique et délicieux. Meilleur que la viande, il me nourrit plus efficacement que son ancien propriétaire, symbole de la chasse réussie, de la victoire obtenue, de la survie.
Les poils du lapin me collaient au museau à cause du sang, aussi pénétrais-je la Vallée des Brumes en me léchant les babines, cherchant à me débarrasser au maximum de cette gène. Ça gratte, ça chatouille, et l'odeur me donne encore faim. En somme, rien de très utile. Et une autre raison me poussait à me débarrasser au plus vite de ces restes inutiles: tant qu'ils me colleront au museau, je ne pourrais rien sentir d'autre. Inutile de vérifier si d'autres loups étaient là, impossible de savoir si de nouveaux étaient arrivés, inquiétant de comprendre que je pourrais être cerné sans l'avoir senti. Dans un autre endroit, je n'y aurais pas forcément fais attention. J'aurais utilisé ma vue ou mon ouïe, mais ici, les rafales de vent intermittentes, incroyablement violentes en comparaison du calme des autres territoires, étaient si bruyantes qu'on entendait à peine, et si puissantes qu'elles transformaient les cendres qui reposaient sur ce sol en un brouillard noir et impénétrable à une quelconque lumière. Privé d'odorat, d'ouïe et de vue, j'étais plus faible qu'un louveteau.
Prenant conscience de ma faiblesse temporaire, je m'arrêtais afin de m'asseoir quelques minutes. Je pris alors le temps de me nettoyer le museau correctement, sans chercher à prolonger le plaisir du goût âcre du sang dans ma gueule, m'aidant de mes deux pattes avants pour retirer un maximum des poils collés à la fourrure autour de ma truffe. Petit à petit, comme le sang disparaissait de mon champ olfactif, je récupérais mon odorat. Cet arrêt me permis également d'en profiter pour habituer mes oreilles au rythme et à la puissance auditive des rafales de vent. Tout en récupérant mon nez, je pus récupérer mes oreilles, qui réussirent à s'adapter au rythme des rafales. Plus rassuré ainsi, je repris ma marche au sein de ce lieu de désolation. Car oui, quel autre lieu aurais-je pu choisir pour fuir efficacement la beauté et la joie de l'arrivée du printemps dans mon clan? Non, définitivement, ce lieu me correspond beaucoup mieux. |
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