Rencontre d'affamés
dans un lieu morbide

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Votre agonie est longue,
votre mort est certaine

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Faim... Catastrophe... Peur... Mort...

Ces mots, sans cesse rabâchés par les loups, bourdonnaient aux oreilles de Pandore. Oui elle mourrait de faim, oui elle voyait comme tout le monde les terres d'Estryä ravagées par des incendies, des tremblements de terre, des tornades... Oui elle craignait de voir sa tribu décimée par les prochaines intempéries ou famines. Et oui, elle se demandait à chaque fois qu'elle fermait les yeux s'ils allaient se rouvrir.
Pourtant, en tant qu'espionne, c'était dans ces moments-là qu'il fallait être le plus opérationnel. Dans ces moments où la seule chose que l'on désir est de s'affaler par terre et de ne plus bouger, qu'il faut courir, récolter des informations, courir, partir en éclaireur, courir, rapporter les informations reçues, et encore courir.

Depuis le début de l'automne, le début de ce que la plupart appelait la "Fin", la sombre femelle n'avait pas arrêté. Allant d'un territoire à l'autre pour savoir si certains s'en sortaient mieux que d'autres... La conclusion qu'elle en avait tirée était accablante : partout, absolument partout, on pouvait sentir l'odeur de la mort, voir son ombre derrière chaque arbre, imaginer sa silhouette dans chaque nuage menaçant.
Après avoir échappé de justesse à un séisme sur les contrées du Feu, la ténébreuse espionne avait décidé de passer par les terres neutres pour n'avoir qu'à traverser qu'une petite partie du territoire de la Terre avant d'arriver sur celui de l'Eau. En ces temps obscurs, mieux valait éviter les conflits. Le moindre petit incident mettrait sans aucun doute le feu aux poudres.

Elle se trouvait donc à présent dans le Cimetière Interdit. Un lieu qui correspondait parfaitement avec l'aspect physique de l'énigmatique femelle : son corps décharné laissait apparaître ses os, ressemblait à ceux des cadavres gisant six pieds sous terre. A force de marcher sans interruption, ses pattes étaient dans un état pitoyable, les coussinets entaillés, les griffes cassées. Celle que l'on surnommait volontiers l'Ombre des Voix de l'Eau n'était plus que l'ombre d'elle-même. L'ombre d'une ombre... Cela ne faisait pas beaucoup.
Elle avançait péniblement entre les tombes, le souffle rauque, la démarche irrégulière et raide. Tout ce qui restait de l'ancienne Pandore, la Pandore des jours paisibles, c'était son éternel regard de glace, toujours aussi hypnotique, ainsi que la couleur, aussi obscure que l'horizon actuel, de son pelage.

Perchés sur les branches d'un arbre mort, spectateurs du désastre, quelques corbeaux croassaient en cœur, telle une symphonie funèbre. Si elle en avait eu la force, la femelle se serait jetée sur eux, n'en faisant qu'une bouchée. Elle leur lança un coup d'œil l'air de dire "vous ne perdez rien pour attendre" et continua son chemin, un creux béant dans le ventre.
Un peu plus loin, elle aperçut un rat, aussi mal en point qu'elle, fouinant par ci par là. Par miracle, elle réussit à l'attraper, et le goba tout rond, sans rien laisser. Son estomac, engourdi et déshabitué à recevoir de la nourriture, la fit souffrir, cependant, elle sentit une mince force lui revenir.

Soudain, des bruits de pas lui firent dresser les oreilles. Par réflexe, elle se mit en position de défense.

*A quoi bon après tout... Je ne pourrai même pas parer le moindre coup.*

Pensa-t-elle.

Elle attendit donc que le nouveau venu arrive dans son champ de vision.

Rencontre d'affamés
dans un lieu morbide

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Parmi les plus faibles,
le plus fort est celui qui n'oublie pas sa faiblesse

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Wildstorm. L'obscure espionne ne l'avait encore jamais rencontré, pourtant elle le reconnu aussitôt. Son pelage grisâtre, taché de larmes de sang. Impossible de se tromper. C'était bien lui, le redoutable guerrier qui avait vaincu Kaedius.
Brume ne l'avait jamais porté dans son cœur, et les rares fois où les deux Alphas s'étaient croisés, ils en étaient toujours venus aux griffes et aux crocs. Sacrée Brume... Comment s'en sortait-elle ? Elle avait beau garder son regard fier et impétueux, elle subissait comme tout le monde les conséquences de ces heures sombres. Et gérer une meute n'était pas chose facile. Encore moins maintenant. De plus, depuis que son fils était né, Pandore s'inquiétait. Si par le plus grand des malheurs ce louveteau était pris en otage par un clan ennemi, il ferait un merveilleux moyen de pression. Et la ténébreuse femelle ne savait pas si sa supérieure serait capable de faire passer sa tribu avant la chair de sa chair. En effet, bien qu'elle-même n'ait jamais été mère, et n'avait pas prévu de le devenir de si tôt (qui aurait envie d'offrir à son petit un début de vie dans de telles conditions ?), elle se doutait qu'un choix pareil serait un véritable dilemme.

—"Bonjour. Je n'ai rien à mangé, et aucune envie de me battre, à titre d'information. De plus, même si nous essayons, autant vous que moi, ne pourrions arrivé à faire ne serait-ce qu'un bond vers l'adversaire, je me trompe ?"

L'Ombre des Voix de l'Eau se ressaisit. Cela ne lui ressemblait pas de divaguer autant alors qu'un ennemi était à quelques pas d'elle. La fatigue commençait sérieusement à poser problème...
 Elle dévisagea son illustre interlocuteur de ses yeux de glace. Malgré la famine, il gardait une allure imposante. Cependant, elle perçut une certaine souffrance à travers cette enveloppe. Lui non plus n'était pas au mieux de sa forme.
Elle esquissa un sourire ironique avant de lui répondre de sa voix grave si énigmatique :

 

« Et même si par miracle j'arrivais à attaquer, cela n'aurait pas grand impact sur vous... N'est-ce pas WildStorm ? »

 Elle avait entendu parler de son étrange pouvoir : il ne ressentait pas la douleur. Pandore avait tout de suite trouvé que ce don était un cadeau empoisonné : il ne sentait rien, certes, mais la blessure était bel et bien là. Il ne se sentira donc pas mourir, ne saura pas quand s'arrêter.
Elle fit une pause avant de reprendre :

 

« Dites-moi, comment ce fait-il qu'un Alpha tel que vous, tenant plus à sa famille et à sa meute qu'à sa propre existence, soit si loin de chez lui ? Il doit avoir une bonne raison pour quitter ses terres et laisser ce qu'il a de plus cher derrière lui... Son territoire serait-il si mal en point que tout le gibier aurait déserté, le poussant à trouver de la nourriture par delà les frontières ? Ou chercherait-il justement à les étendre, ces frontières ? Commencer par une zone neutre est une bonne idée, soit dit en passant, néanmoins, je trouve que le Cimetière Interdit n'est pas l'endroit rêver pour installer un campement. Et, je vous en prie, ne me dites pas que vous vous promenez, je ne vous croirai pas. »

 Pour une fois, elle parlait. Il fallait qu'elle parle, pour oublier la faim, la soif, la fatigue. De toute manière, le loup en face d'elle lui avait bien fait comprendre qu'il n'était pas non plus en mesure de faire quoi que ce soit.
Elle s'assit avec toute la souplesse que lui permettaient ses membres endoloris, et attendit. Encore.

[Mille excuses pour le temps qu'à mis ma réponse à arriver...]