Les oreilles fièrement dressées sur la tête telles les oreilles des antiques sphinx égyptiens, Amarante affûtait ses sens en quête de quelque chose d'anormal. Autant d'habitude il était doué pour ça, autant ce jour là, rien ne semblait disposé à se manifester, que ce soit par des présences, des mouvements louches ou même des sons ou des vibrations dans le vent. Rien du tout, tout n'était que néant. Aussi vous comprendrez la déception qu'il ressentit lorsqu'il comprit que sa journée serait des plus banales une fois de plus.
D'agacement, il mâchouilla nerveusement un petit morceau de tige de pissenlit qui traînait sur le sol de son sombre antre en se demandant ce qu'il allait faire à présent. Ramasser de nouvelles herbes n'était pas dans ses priorités étant donné que la veille il avait, grossièrement dit, « fait le plein ». Il ne lui restait pas beaucoup d'options ni de marge de manœuvres. Il allait faire ce qu'il faisait toujours lorsqu'il s'ennuyait, faire ce que tout ceux qui se trouveraient à sa place ne feraient pas ; penser et se rendre malade rien que pour le plaisir. Et il avait le sujet idéal sur lequel déprimer : une certaine demoiselle décédée par sa faute à lui et à son incompétence flagrante.
Elle était si jeune, elle était si belle, ils étaient si heureux, ils avaient tant de projets, alors pourq...



Mauvais signe ça, quand le guérisseur se mettait à abréger grossièrement ses mots. Quelque chose le rongeait de l'intérieur depuis trop longtemps et ne pas en parler était un véritable fardeau, ça le tracassait terriblement. C'était devenu une vraie hantise, il avait l'impression de s'enfoncer dans la folie (fort heureusement, ce n'était pas le cas.), mais il faisait délibérément le choix de ne jamais aborder publiquement la question. L'avis des autres et des ignorants ne l'intéressait pas.
Il avait craché son anti-stress végétal meutri en début de phrase, juste un peu avant de s'exclamer en solitaire des propos qui n'avaient du sens que pour lui et sa petite personne. A défaut de déprimer, il venait de réussir un coup de maître, parce qu'il se sentait d'humeur furibarde à présent. D'humeur à gâcher la bonne humeur des autres, si l'on peut dire. Après tout, il ne voyait aucune raison de devoir être le seul à sentir sa journée se gâcher un peu plus au fur et à mesure qu'elle progressait. A ce stade là, autant que ce soit pareil pour tout le monde.
Frustré contre lui-même, le loup roux grisonnant sortit comme une furie mal-contenue de sa tanière et parti d'un bon pas se défouler vers une destination encore inconnue. Ce n'était pas bon de réfléchir quand on se sentait mal, de drôles d'idées pouvaient alors pointer le bout de leurs museaux et influencer nos jugements. On perdait une sorte de lucidité. C'est pourquoi, le guérisseur ne réfléchit pas, il traçait sans but et sans envie. Ni sans aucune idée de ce qu'il allait faire une fois qu'il serait arrivé dans un coin qui lui plairait, d'ailleurs.

C'est probablement en partie pour toutes les raisons susmentionnées qu'il ne remarqua ni le changement d'ambiance, ni le changement de temps lorsqu'il pénétra aux portes du superbe Lac d'Argent. Il ne remarqua que l'eau, et fidèle à son tempérament « j'm'en fous, j'fais c'que j'veux et tant pis si c'est pas logique ! », il ne ralentit pas son allure et il bondit en avant avec beaucoup de bonne volonté, puis disparu dans le liquide frais.

La surface du lac s'agita quelques secondes encore, puis quelques minutes... Une grenouille assise sur son nénuphar risqua un croassement satisfait. Puis les rides au dessus de l'eau s'estompèrent progressivement... Et une boule de poils colorée jaillit à la surface dans une longue inspiration sifflante pour retrouver avec délice la sensation de l'air sur son pelage détrempé ainsi que dans ses poumons de simple quadrupède terrestre. Haletant, le mâle rouge ne se souciait pas des éventuels témoins de ce curieux spectacle, il reprenait son souffle et garda la gueule ouverte un bon moment encore. Il ne la referma avec humeur quand quand il vit une petite grenouille brasser l'eau à l'aide de ses cuisses taillées pour la natation.

Il s'ôta une grosse écharde de la patte avant à l'aide de ses crocs avant de poursuivre comme si de rien n'était.

Amarante leva ses yeux vers la lune et il jura tout haut.



Il foudroya l'astre nocturne d'un sale œil. Non, il n'était pas malade et n'était pas fou, en vérité, il n'avait jamais été aussi lucide. Simplement, il est des choses qu'on ne peut décidément dire à personne, et Amarante partait du principe qu'il en allait sûrement de même pour les opinions. Il se sentait triste, misérable et usé par une vie bien trop injuste ; et pour l'heure la seule chose qui était d'accord pour l'écouter, c'était un satellite naturel.
Enfin non, en vérité il ne connaissait que deux loups qui daignaient toujours lui prêter une oreille attentive. Le hic, c'est que pour l'instant, ni Elwynn, ni Kyoshi ne traînaient dans son sillage.
Le mâle esquissa un pâle sourire pour lui même et il soupira (toujours le postérieur assis dans la vase et l'eau le recouvrant jusqu'au cou). Quelle vie...