Cimetière... cimetière... cimetière

Ca sifflait. Etrange, sombre... Un sifflement sinueux s'incrustant en soi comme un vicieux serpent sifflant. Cela ressemblait au souffle du vent, pas cette douce brise faisant s'agiter les feuilles des arbres, plutôt un murmure sournois, sombre et oppressant... Combien cela faisait-il de temps que ce son résonnait dans l'esprit d'Amaryllis ? Bien avant même qu'elle n'arrive au cimetière interdit, elle entendait déjà ces bruits confus, comme des centaines de personnes parlant en même temps, des bruits confus dont elle n'arrivait à discerner qu'un seul et unique mot : cimetière. Les chuchotis étaient une sorte de fond sonore, et cela résonnait dans son crâne, lui donnant presque mal à la tête. Elle devait être sacrément fatiguée pour entendre des voix dans sa tête... Mais bon, comme souvent, l'adolescente des hurlements de l'air s'ennuyait, alors autant écouter ces voix et se rendre dans le seul cimetière qu'elle connaissait : le Cimetière Interdit.

Cimetière... cimetière... cimetière...

Cela semblait avoir augmenté, c'était plus fort dans son esprit, comme-ci elle se rapprochait... Mais de quoi ? Les voix étaient dans sa tête, elle en était certaine, pourquoi gagnaient-elles donc en intensité ? C'était si étrange... Amaryllis devait être sacrément fatiguée, elle se demandait même si ce n'était pas un rêve, si elle ne rêvait pas, qu'en fait elle était tout simplement dans sa tanière, roulée en boule, le bout de sa queue grise sur le museau, la respiration lente et paisible. Mais cela semblait tellement réel, elle sentait le vent parcourir son pelage, cette faim insatiable qui assaillait tous les loups d'Estryä depuis le début de la guerre et de l'hiver, l'odeur humide de la neige... Non, ce n'était décidément pas un rêve, l'adolescente était bel et bien éveillée, et ces voix résonnaient vraiment dans sa tête...

Cimetière... cimetière... cimetière...

Au fur et à mesure qu'elle se rapprochait du cimetière interdit, les voix gagnaient en intensité, jusqu'à en devenir assourdissante à certains moments. À travers la brume, Amaryllis discernait les premières tombes, recouvertes de mousses. Elle n'avait pas peur de cet endroit, elle s'y était déjà rendue, elle avait même rencontré Okana ici même. Quand à ces histoires de fantômes, avec ce qu'elle avait vu en compagnie de la loupiote des Crocs du Feu, elle voulait bien y croire. En tout cas, la jeune louve n'avait aucune appréhension à poser ses pattes ici, dans cet endroit lugubre, ces voix étranges continuant de résonner dans sa tête. Elle n'était pas non plus effrayée par cela, étrangement, la jeune louve prenait cela le plus naturellement du monde, sans s'en soucier, sans se dire que ce n'était décidément pas normal d'entendre des personnes parler dans sa tête, comme-ci ça avait toujours été ainsi.

Il est là... il arrive...

Amaryllis dressa les oreilles, d'autres mots étaient apparus à travers le brouhaha dans sa tête. Il ? Qui arrivait ? L'adolescente regarda autour d'elle, il n'y avait personne, juste la brume, les tombes et elle, perdue dans ce paysage macabre. Les chuchotis étaient devenus plus forts, comme menaçants, lui agressant légèrement les tympans. Mais elle continua d'avancer, essayant de ne pas y penser, elle était juste fatiguée et affaiblie par la faim, rien de plus... Avançant à tâtons, laissant ses pas la guider, l'adolescente des hurlements de l'air marchait lentement, la mine morose, les yeux légèrement fermés comme en transe, ailleurs. Les murmures ne s'étaient pas dissipés, ils continuaient à résonner, plus forts, plus rapides, plus menaçants, au fur et à mesure qu'elle avançait.

Il est là... il arrive... prends garde ! Tes os craqueront et le sang giclera !

Amaryllis se stoppa net et ferma les yeux avec force, baissant les oreilles, les chuchotis devenus une voix claire et sifflante ricanant, lui donnant mal au crâne. Cette voix répéta cette même phrase encore une, deux, trois fois, avant de se dissiper complètement. La jeune louve attendit encore quelques secondes, les yeux toujours clos, les oreilles toujours rabattues sur son crâne, attendant de voir si les voix n'allaient pas reprendre, mais au bout de quelques minutes et s'apercevant qu'elle n'entendait plus rien, Amaryllis se décida à rouvrir les yeux et à remettre ses oreilles à sa place, pour découvrir avec surprise un loup, juste devant ses yeux. Son pelage entièrement noir et long se perdait dans la brume, et il fixait d'un étrange regard l'adolescente grise, un regard dont on ne pouvait savoir s'il était malveillant ou bien veillant, un regard lisse comme de l'eau, plus effrayant peut-être que s'il avait été rempli d'animosité. Les deux passèrent de longues secondes à s'observer. Jusqu'à ce que d'une voix ferme l'adolescente s'exclame :

"Qui es-tu ?"

Le loup noir se tourna de côté, laissant le loisir à la jeune louve de détailler son long museau fin et cette énorme balafre qu'elle n'avait pas encore vu, perdue dans la brume l'entourant. Le loup fouetta l'air de sa longue queue épaisse comme celle des renards avant de se retourner et de commencer à partir en courant. Quelque peu perplexe, Amaryllis eut comme réflexe de le suivre, en lui ordonnant de l'attendre, comme-ci ce loup allait lui montrer quelque chose. Alors qu'elle pensait l'avoir perdu, un bout de sa queue sombre apparaissait entre deux pans de brume, et ce plusieurs fois, la jeune louve grise avait l'impression de tourner en rond ! Mais elle continuait de le suivre, jusqu'à ce que, étrangement, le brouillard se dissipe légèrement, lui permettant de voir le loup, devant elle, zigzaguant entre les tombes avec agilité, semblant flotter dans les airs. Enfin, il sauta par-dessus un imposant rocher et Amaryllis l'imita. S'attendant à lui retomber dessus de l'autre côté, elle fut surprise lorsque ses pattes rencontrèrent la fourrure blanche d'un autre loup. Poussant un petit cri étonné, elle finit par s'écraser sur le loup, sans savoir où était passé l'autre. De la mousse sur le bout de la truffe, l'adolescente se releva avec hâte et s'ébroua vivement, avant d'observer le loup sur lequel avait atterri. C'était un adolescent de son âge certainement, au pelage blanc et noir et aux étranges motifs rouges à certains endroits et il devait être de son clan, son odeur n'étant pas très différente de la sienne. Retrouvant un peu de consistance après sa chute, Amaryllis observa brièvement les alentours, dans l'espoir d'apercevoir le loup noir, en vain ; il n'y avait que la brume et cet adolescent. Le regard légèrement méprisant, l'adolescente remit sa mèche à sa place avant de déclarer d'une voix dédaigneuse :

"T'aimes bien servir de paillasson toi ?"

Un petit soupir s'échappa d'entre les lèvres de la jeune louve lorsque son interlocuteur bomba le torse comme pour l'impressionner. Elle balaya l'air de sa queue épaisse, faisant s'envoler quelques pans de brume, le regard hésitant entre le mépris et l'indifférence total envers cet adolescent au sourire perturbant. Remettant sa mèche verte à sa place, Amaryllis siffla entre ses dents, fronçant le museau pour bien exprimer son agacement. Le loup n'avait même pas encore ouvert la gueule que l'adolescente l'avait déjà cerné dans les grandes lignes. Lorsqu'elle eut froncé la truffe, une étrange odeur imprégna l'atmosphère. Entêtante et sucrée, elle lui rappelait un peu l'odeur des fleurs hallucinogènes de l'Illusoire. Et cette odeur semblait tout droit venir de l'adolescent en face d'elle. Le détaillant du regard, elle remarqua bien vite que le mâle ne la quittait pas du regard, toujours son étrange sourire au coin des babines, comme-ci il était satisfait de quelque chose. Et lorsqu'il ouvrit enfin la gueule pour parler, la jeune louve étouffa un grondement :

"Pff... ce n'est pas de ma faute si les jolies dames me tombent littéralement dessus. Pas de ma faute si je suis si canon !"

Amaryllis lui jeta un regard empli d'animosité. Son pelage se hérissa de colère et elle dévoila ses crocs. Pour qui il se prenait cet abruti ? Restant de longues secondes à l'observer ainsi, elle se calma finalement. Il ne fallait pas céder à la colère avec ce genre de personne, elle le savait. Reprenant contenance, la louve remit à nouveau sa mèche à sa place, reprenant son masque d'indifférence. Elle avait tendance à être très irritable en ce moment, mais elle ne devait pas succomber à des sentiments aussi stupides que la colère, elle valait bien mieux que cela, elle avait toujours réagi différemment, ce n'était pas aujourd'hui qu'elle allait changer. Mais la jeune louve dût tout de même prendre énormément sur elle lorsque le mâle au pelage tricolore s'approcha lentement d'elle pour frotter son pelage au sien. L'odeur sucrée s'intensifia, devenant presque écœurante mais l'adolescente ne réagit pas. Pendant une fraction de seconde, elle sembla trouver plaisant le contact du pelage du loup au sien avant de bien vite se ressaisir. Secouant la tête, la louve s'écarta de quelques pas, fouettant le visage du loup de sa queue au passage. Avec des mouvements légers, elle s'assit face au loup. Elle n'avait pas de temps à perdre avec cet idiot, Amaryllis voulait retrouver le loup noir mais elle ne pouvait manquer cette occasion de le remballer en bonne et du forme. Ou elle pouvait s'amuser un peu, net, rapide et efficace. La demoiselle esquissa un léger sourire, elle n'était même pas sûre de pouvoir retrouver le loup noir, et cela lui changerait un peu les idées de jouer, elle reprendrait ses recherches dans quelques minutes... Redressant la tête, le regard pétillant, un sourire malicieux s'était dessiné sur ses babines. Elle fit onduler sa queue épaisse et de sa voix légère et méprisante s'exclama :

"Techniquement je ne suis pas tombée sur toi. Le mot exact aurait plutôt été "sauter". Mais ce n'est pas toi que j'espérais voir sous mes pattes, à vrai dire j'étais même plutôt déçue. Le loup que je suivais valait mille fois mieux."

Son sourire mesquin s'élargit, et elle ricana. Ses yeux verts brillèrent d'un éclat mêlant mépris et amusement. Se relevant, elle s'approcha, tel un félin de son interlocuteur. Sa démarche était souple et silencieuse, Amaryllis avait ça dans le sang, elle avait toujours avancé ainsi, elle n'avait pas eu besoin de l'entraînement d'un espion quelconque, cela lui venait naturellement. Lorsqu'elle ne fut plus qu'à quelques centimètres du museau du mâle, ses yeux se plissèrent, rieurs. Toujours le sourire sur les babines, l'adolescente émit un petit rire. Cela faisait un moment qu'elle ne s'était pas ri d'une personne. Bon, en même temps, avec la guerre, la famine et toutes ces merdes, elle n'en avait plus eu l'occasion. Et ce loup était arrivé comme une fleur, c'était à lui d'en payer les conséquences ! Finalement, elle dépasse le loup, frôlant son pelage et s'éloigna de quelques mètres, se trouvant dans son dos. Elle s'assit et se lécha une patte avant comme le ferait un chat.

"Allez, pleure pas, c'est pas de ta faute si t'es un minable ! marquant un temps de pause elle reprit, enfin même si tu es minable tu n'es pas incapable n'est ce pas ? J'aurai besoin d'aide vois-tu et tout stupide et puéril que tu es tu pourras certainement faire l'affaire."

Élargissant son sourire, dévoilant encore plus ses canines blanches. Amaryllis voulait retrouver le loup noir, et cet imbécile tricolore allait l'aider. Et s'il refusait, la jeune louve n'aurait qu'à le laisser en plan là et partir à la recherche du loup noir, c'était aussi simple que cela. Oui, c'était une bonne idée.

"Vois-tu, quand je t'ai malencontreusement sauté dessus, c'est parce que j'étais à la poursuite d'un loup noir. Et j'aimerai le retrouver. Et tu vas m'aider... N'est ce pas ?"

Sa voix était inflexible, dure, mais il gardait son grand sourire sur les babines.