La lune. Amarante aimait bien la nuit. Ronde. Amarante aimait bien la nature. La nuit. Amarante aimait bien les vagues. Et si ce soir, une musique avait pu flotter dans l'air, c'aurait été un vieux blues. Mais les loups ignorent ce qu'est le blues, n'est-ce pas ? Alors au bord de cette plage, ne régnait que le silence d'une nuit claire, ponctué par le murmure des vagues. Peut-être est-il bon parfois de ne plus angoisser quand vient le calme, de ne plus avoir besoin de tant de bruit, tant de mouvement, tout ça pour prétendre se sentir bien.

Le grand mâle observa l'eau. Elle brillait de milles bulles bleues fluorescentes. Comment ? Non. Ceci n'avait rien d'une bulle. C'était un banc de méduses. Elles étaient là, des milliers, à perte de vue, ondulant dans l'eau limpide, calmes, presque sans vie, seulement brillantes. Ama esquissa un rictus. Qu'il était drôle que la terre porte en son sein ces rares mélanges entre mort et beauté, comme si les deux étaient intimement liées ! Il songea que c'était sans doute le cas, après tout. Et ces méduses étaient, à l'image de la rose, inoffensives si on ne s'y frottait pas.  

Il avait marché longtemps, et traversé beaucoup de territoires pour arriver jusqu'à l'île et jusqu'à la mer. Et cette expédition était destinée à la découverte de potentielles algues médicinales. Il avait rencontré sur le chemin quelques loups qu'il s'était amusé à titiller mais, n'en tirant au final que peu d'amusement, il avait passé son chemin et avait continué seul sa route. Malgré ses facilités sociales et sa langue bien pendue, sa seule compagnie restait pour lui le plus grand des réconforts. Ainsi il profitait de ces moments où il se trouvait seul à seul avec lui même, sans personne autour, sans loup à soigner, sans louve à écouter parler de ses mots de tête. Il observa son reflet. Il se fit un large sourire.

"J'y croirais presque, mon vieux...." marmonna-t-il pour lui même.

Il lâcha une fleur dans l'eau. Tiens, il pleut des fleurs...serait-ce toi ?

Une voix féminine bourdonna à ses oreilles. Femelle. De l'eau. Voilà tout ce que disait son odeur, et c'était déjà bien assez. Amarante souffla bruyamment pour marquer son agacement et se retourna vivement vers son interlocutrice avant de déclarer en roulant des yeux :

'Bravo bibiche, tu l'as trouvée toute seule ta phrase pseudo philosophique ?'

La louve était bleue, avec des accents gris. Ses yeux étaient de même. A croire que les loups de l'eau avaient pris les couleurs de leur élément. Il se fit d'ailleurs la remarque que l'eau n'était pas bleue, mais transparente.

'C'est d'une banalité que d'aborder les gens comme ça, avec une phrase accrocheuse pour laisser penser qu'on est plus intéressant que la moyenne. Si t'as besoin de discuter, j'ai rien d'un assistant social !'

Bon. Ok. Il y avait plus malin à faire que d'emmerder d'entrée cette louve adverse inconnue. C'est vrai, quoi, elle pourrait lui arracher le visage. Et ce serait fort contraignant. Un si joli visage ! Une perte pour le monde entier, pour sûr ! Mais elle lui avait tendu la perche et il l'avait saisie. Ni plus ni moins. Il était venu ici dans l'idée d'être en paix, et que l'on vienne briser cet instant rare l'irritait. Le loup pourpre jeta son regard sur la mer. Elle était si belle qu'elle éclipsait tout. Toutes les beautés vivantes de ce monde. Il considéra du coin de l’œil la louve non loin de lui. Encore là ?

Spoiler:

Amarante écouta et arqua un sourcil. Cruel ? Lui ? Elle, en tout cas, n'avait certainement aucun don pour cerner les gens. Énervant, oui. Taquin, certes. Cherche merde, sarcastique, cynique, il était tout ça. Mais cruel ? Comment pouvait-elle voir en lui une once de cruauté ? Pour quelques remarques piquantes et un sourire sarcastique, elle le trouvait cruel ? Sans doute n'avait-elle jamais été confrontée à la cruauté alors. On dit que l'on a tendance à voir chez les autres ce que l'on nie chez soi. Avait-il des raisons de se méfier d'elle ? A vrai dire, il n'en savait rien. Il la trouva simplement gonflée de faire l'ennuyée et l'outrée alors que c'était elle, après tout, qui l'avait accosté. Alors certes, il aimait mettre son talent d'orateur en pratique, mais cette conversation stérile commençait sérieusement à l'ennuyer.

Ce qu'elle pouvait penser de lui, il s'en foutait. Il se foutait qu'elle lui dise que son jeu d'acteur était mauvais. Son avis l'importait peu et le simple fait qu'elle ait la prétention de le donner à tords et à travers, en le pensant pertinent, lui filait la nausée. Si son jugement avait été juste, il se serait trouvé amusé, il se serait trouvé intéressé, mais comment réagir face à quelqu'un qui se croit fière d'avoir décelé en vous tout ce que vous n'êtes pas ? Une simple fatigue s'installa dans son regard, ainsi qu'un profond mépris. Elle n'était peut-être pas si intelligente au final.

- Ecoute, je ne suis pas une marionnette envoyée ici par quelques forces occultes pour jouer un "rôle" dont tu serais seule juge, et c'est bien hypocrite de me coller des termes comme "sadique" ou "cruel" sur le front, alors qu'on peut lire clairement dans tes yeux que c'est toi qui a envie de m'arracher la jugulaire.

Son ton s'était fait glacial. C'était comme ça avec Amarante. Il voulait bien jouer, mais quand le jeu l'ennuyait, il l'arrêtait tout bonnement. Il était venu pour admirer quelque chose de rare et elle, sans doute dans l'égocentrisme dont fait preuve la jeunesse, elle n'était pas foutue de la fermer et de dire merci à maman nature d'être tout simplement en vie ici sur ce banc de sable.

-Tu noteras tout de même que je n'ai en rien fait un numéro méchant ou menaçant, je t'ai simplement avertie du danger de ces méduses là. Déjà, ça c'est plutôt sympa, non ? Ensuite, je ne t'ai pas dit que je t'y pousserai ou quoi que ce soit, je t'ai simplement informé que si tu tombais dedans, je ne sauterais pas pour te sauver. Parce que je ne fais pas la charité. Et que, toi, tu ne sauverais pour rien au monde un membre de mon clan, je me trompe ?

Il la fixa droit dans les yeux, sans aucun sourire cette fois-ci, et, s’asseyant face à la mer, conclut :

-Maintenant, si t'es capable d'avoir une discussion sensée, enchanté, moi c'est Amarante, et comme tu vois, si j'avais eu envie d'étriper des meufs, j'aurais choisi de faire guerrier. T'es toujours en vie, je suis guérisseur, assied-toi et discutons, saute moi à la gorge ou dégage, mais fais un putain de choix qu'on soit fixés.  

Il jeta son regard sur la mer. Les gens se servent si mal des mots.

Mais elle avait quoi, elle ? Elle était complètement tarée ! Le grand loup rouge la dévisagea. Il se savait bon orateur, il était convaincu de la pertinence de ses propos, reconnaissait que, lorsqu'il le voulait, il était capable de faire rire, mais là pour le coup...Il ne savait absolument pas ce qu'il avait de drôle. Elle riait là ou rien n'était marrant, prenait pour de la cruauté une simple phrase visant à répondre à sa propre remarque impertinente, elle abordait les gens, puis agissait comme si c'était eux qui tentaient de l’impressionner. Il réprima un rire provocateur qui aurait  encore lancé la louve dans un quelconque délire qu'il n'avait pas envie d'écouter. Ainsi, il resta assis, et rendit son regard ardent à l'océan. Son bel océan. Belle force tranquille, sans vanité aucune. Qu'il aurait aimé être l'Océan...

Le guérisseur rouge resta tout de même embêté par la tournure que prenaient les choses. Certes, qu'elle se casse et qu'elle le laisse, lui et son spleen nocturne, aurait été la meilleur des initiatives. Mais bon, comme il ne fallait pas rêver, il avait au moins espéré qu'elle lui saute dessus toutes griffes dehors et qu'ils se foutent sur la gueule jusqu'à ce que l'un des deux déclare forfait. Mais voilà qu'elle voulait rester et discuter. Discuter. Mais de quoi ? Amarante n'avait rien à lui dire, en fait. Il ne montra pourtant rien de cette exaspération. Après tout, c'était lui qui l'avait, indirectement, invitée à s'asseoir, non ? Le regard toujours posé sur l'eau scintillante, il commença d'un ton calme :

- Ok. C'est quoi ton nom, déjà ? Parler avec du vide c'est pas mon truc...Ensuite...waw, dis donc ! Soit il se passe vraiment pas des choses marrantes dans ta vie, soit les gens de ton clan ont un humour à chier..Parce que, bon, rire, c'est aussi naturel que respirer, alors tu devrais le faire plus souvent.

Il marqua une pause. Rien d'agressif ni de taquin dans sa voix. Il semblait avoir calé son débit de paroles sur le murmure des vagues. Il la regarda.

-J'espère que tu sais que ne jamais rire, ça fait vieillir plus vite ? C'est handicapant si tu veux chopper quelques mecs. Enfin, je dis ça comme ça, peut-être que ton truc c'est de vivre en ermite. Mais...Si tu veux mon avis, on s'emmerde vite, et c'est pas une vie, que de se forcer à faire la gueule !