Un ver à soie ! Yes ! Amarante mémorisa la position de la créature. Il reviendrait la chercher plus tard, avec le matériel approprié. Il fallait toujours tout faire dans ce clan ! Faire les potions, chercher les ingrédients, soigner les malades, rassurer les paranoïaques se croyant constamment atteint de la dernière pathologie mortelle en vogue...Deux trois larbins lui auraient fait le plus grand bien mais, oui, se servir des autres, c'est mal, et on est vraiment satisfait que de ce que l'on accomplit par soi même et bla, bla, bla...Les conneries dans ce genre, Ama, lui, n'en avait que faire ! Il se fichait bien des autres, ainsi, vous ne serez pas surpris de constater qu'il se fiche en ce moment même aussi des limites de son territoire. Aujourd'hui, il avait besoin de plantes, point à la ligne. Qui pouvait bien lui dire quoi que ce soit ? Oh, les quelques dizaines de membres du clan de la terre ? Oui. Il n'y avait pas songé.

Le temps était beau. Un temps de printemps, en somme. Rien d'exceptionnel ! Mais allez savoir pourquoi, le soleil, la chaleur et les fleurs sont un cocktail sympa qui éveille chez les femelles tous leurs instincts mièvres et ridicules. En bref : C'est bien un temps à fuir tout ce qui a de jolies courbes. Depuis longtemps déjà, le guérisseur se tenait en dehors de ces jeux de séduction qui survenaient au printemps. Lui, de tout ça, il en était lassé...

Une brise souffla et fit frissonner toutes les feuilles nouvelles que les arbres arboraient fièrement. Il regarda en l'air, un grand sourire illuminant se visage. Flippant ou attendrissant, à vous d'en juger. Quelle douce musique, quel beau spectacle. Que c'est beau la solitude, qu'elle est douce la vie. Que c'est doux la lumière, c'qu'elle est belle la brise !  

Une branche craqua. Fini la légèreté. Quelqu'un venait de gâcher son moment. Le grand mâle rouge ne cacha point se désappointement et se retourna, l'air dédaigneux. " Mh ? "

Un loup de la terre. Quelle surprise. Amarante arqua un sourcil. C'était qui, lui ? Ah, oui, évidemment qu'il était sur le territoire de ce loup. Evidemment que ce n'était donc pas à lui de se demander qui il avait en face. Evidemment qu'il était d'ailleurs mal placé pour tirer cette tronche agacée comme si c'était LUI qu'on venait de déranger. Mais l'impolitesse fait partie intégrante du caractère de l'Enfant fleur, ainsi, oui, c'est LUI qu'on dérangeait et pas le contraire. De plus, il n'avait jamais vu ce loup. Ou s'il l'avait un jour aperçu, il l'avait tout bonnement oublié. Rien de vexant là dedans : Amarante n'était que très rarement marqué par les personnes ou les visages. Tri sélectif oblige. Il préférait savoir sur le bout des pattes tous les noms de fleurs et d'animaux. Mais le nom des autres, ça sert à quoi le nom des autres, hein ?

-Je ne savais pas que les loups de l'air savaient marcher dans une forêt. Je croyais que votre truc, c'était plutôt les espaces dégagés.

Amarante pouffa, insolent. Aussitôt un sourire carnassier vint élargir ses babines. Il croyait quoi, lui ? Que les loups de l'air sont de jolis farfadets volant à tire d'ailes, simplement parce que c'est leur élément ? Décidément, cette séparation sectaire entre les tribus avait fini par monter à la tête de certains. Ils étaient loups, et, puisque loups ils étaient, en loups ils vivaient. Tous.  

- Ouais, ouais, c'est pour ça qu'on dort tous à la belle étoile et qu'on se déplace à dos de nuages...Tu comprends, l'habitude de marcher, ça se perd, c'est bon uniquement pour vous les loups de la Terre... Il conclut sa phrase par un T.t.t.t en secouant doucement la tête.

Il aimait taquiner. Il se fichait bien, en réalité, des meutes, ou de ce qu'on pouvait penser de la sienne. Amarante ne faisait pas partie de ces idéalistes pseudos-rebelles qui se targuent de vouloir abolir les meutes et vivre tous ensemble. Vivre tous ensemble, Ama s'en contre-fiche. Vivre en meute, ça l'importe peu. Le guérisseur rouge va simplement là où est son intérêt, ou du moins là où il n'est pas trop pénalisé. Sa position actuelle lui convenait, c'est pourquoi changer l'ordre établi ne le tentait pas du tout. Il essaierait peut être un jour, si il s'ennuie. Pour voir ce que ça fait. Mais pas pour l'instant. Le grand mâle se concentra sur un arbre qui produisait un sève ma foi très intéressante et ajouta, marmonnant, presque pour lui, sans regarder l'autre :

-Toute fois je dois bien admettre que je vous envie votre flore...Diantre ! Maman Nature vous a bien gâtés ! Matte moi cette diversité. Il se redressa, comme si il prenait conscience qu'il parlait pour lui et qu'il en oubliait l'autre, et il poursuivi sa phrase avec une voix bien claire en regardant le loup de la Terre Je devrais venir faire un tour ici plus souvent ! Il porta une patte devant son museau, l'air faussement gêné et ajouta, mielleux, Ooooh, mais c'est très mal poli ! Je ne me suis pas présenté ! Amarante. Reprenant un semblant de calme, il termina, ironique Comprends, par ces temps étranges, un charmant guérisseur tel que moi doit bien trouver un moyen d'échapper à ces dames.

Il rit, amer.

La réaction du loup provoqua chez Amarante un sourire, imperceptible cette fois-ci. Oh...Il y avait moyen de s'amuser...Le grand guérisseur rouge resta planté ici, stoïque, regardant l'autre lui tourner le dos. En brave bête conditionnée, il aurait tout à fait pu lui sauter dessus, en traître, comme le voulait son instinct d'animal. N'était-il pas, après tout, un ennemi comme un autre ? Mais Amarante n'était pas bagarreur, il laissait cette besogne aux abrutis. Le ménage, ce n'était pas à lui de le faire et qui plus est, attaquer un loup de la Terre dans son propre clan n'aurait pas été des plus...Fin. Alors l'enfant fleur resta là, et observa. L'autre bientôt, fit volte-face, décidément un peu déçu qu'Ama ne s'en soit pas tenu à ses premières injonctions. Il se contenta de lâcher, dans un demi-sourire :

-Eh bien, tête de noix, que vous êtes Terre à Terre, dans ce clan...Il ricana, feignant de se trouver drôle avec ce jeu de mot fort minable.

Lentement, il se mit à tourner autour du gros bourrin qui voulait, vraisemblablement, lui refaire le portrait. Mh, mh...Il était donc vraiment prêt à attaquer. Ce que les autres loups ont du mal à saisir, c'est que le métier de guérisseur ne se résume pas qu'à la confection de potions anti-rhumatismes pour vieilles (qui soit dit en passant, étaient d'un chiant à confectionner !) Non. Tout l'art du truc, si vous voulez, est dans la connaissance de la nature. Or, les loups comme les plantes sont des êtres de nature. Vous comprendrez également qu'à la manière d'un bon médecin, il est primordial de bien connaitre l'anatomie, de déceler la moindre contraction de muscle pour savoir où soigner sans faire trop de dégâts. De cette manière, Amarante avait remarqué le léger affaissement du bassin qui signifiait pour sûr une répartition du poids en fonction d'une attaque prochaine. Il s'émerveilla une fois de plus sur les cadeaux que Maman nature fait à ses enfants ! Regardez de quelle mécanique bien huilée nous sommes faits ! Mais les gens ne regardent jamais. Ingrâts. Le loup rouge fit mine d'inspecter sa propre queue touffue et de peser les pours et les contres.

-Mh..Quelques poils en moins...La venue de l'été..Il semble que ce serait même une bonne idée pour ménager mon organisme des grandes chaleurs.

Il se repositionna bien en face du loup, et redevenant sérieux, plantant son regard dans celui de l'autre mâle, il lâcha :

-Désolé, sweety Boy, mais j'ai vraiment besoin de ces plantes. Maintenant. Alors, comprends bien que je ne compte pas partir d'ici. Il marqua une pause, arqua un sourcil, et continua, plein d'aplomb. Amarante pouvait passer du chaud au froid en quelques secondes, c'en était déconcertant. Il ne riait plus du tout. Il se contentait de parler froidement, avec fermeté. Soit au moins un peu honnête avec toi même. Si tu veux m'arracher la jugulaire, fais le directement. Ne te donne pas de fausses bonnes raisons. Il conclut. Ne fait pas semblant d'être provoqué pour quelques plantes auxquelles de toutes façons tu ne captes rien, ça se voit. Il acheva par le geste suicidaire de lui faire une grande léchouille sur la joue avant de se préparer, d'un air amusé, à une riposte des plus drôles. Enfin, drôle... Vous a-t-on précisé qu'Amarante est un tordu ?

S'il l'avait écouté, justement, il aurait peut-être entendu qu'Amarante parlait, certes, mais parlait bien et tenait des propos sensés. Des propos qu'on aurait pu résumer par : Calme toi mec, c'est que des fleurs, je te taquine. Mais ce loup était bête, sans mauvais jeu de mot. Bête. Amarante qualifiait ainsi toute personne incapable de se servir deux minutes de son cerveau pour comprendre qu'une situation est grotesque. L'enfant fleur identifiait donc les personnes stupides à l'aide de deux manières : Petit 1) L'ironie, l'humour. C'est connu, plus t'es con, moins tu saisis le second degrés. Moins tu saisis de choses tout court d'ailleurs, mais le second degrés particulièrement. Petit 2) Ne savoir montrer sa colère que par la violence. C'est notoire, un grand débile pas content, ça vous tape dessus. D'ailleurs, ce gosse insupportable qui vous volait votre goûter en vous mettant une patate en pleine face quand vous étiez gosse, lui, il fait à coup sûr partie du petit 2. Et comme vous n'avez sans doute jamais vraiment rigolé avec lui, vous pouvez aussi le foutre dans le petit 1.

Enfin, bref, selon les calculs plus ou moins fiables d'Amarante, il avait devant lui une belle bête à qui Maman nature avait oublié de donner un peu de manière grise. Il roula des yeux. Le débat était stérile. Il tentait tout pourtant, pour lui donner la réplique, pour qu'il parle, pour que quelque chose se passe. Mais rien. Amarante commençait sérieusement à se faire chier, et, ce long bâillement suivi d'un haussement d'épaules blasé en était le pur témoignage.

-Si t'as du mal avec les mots, cogne moi directement, mais bordel fais quelque chose, t'es d'un chiant mon garçon ! Sinon, je sais pas casse toi, fous moi la paix, du coup.

Suite à ça il se détourna. Fini. Ce loup de la Terre ne l'amusait plus en rien. Il était juste d'un ennui mortel, et en cela, il se retira dans un autre coin pour observer une sorte de trou qui était formé par les racines des arbres. Mhmh ! Ça par exemple. Un sourire illumina la face du guérisseur ! Youpi ! Content de sa trouvaille, il alla en faisant des bonds joyeux, chercher un bâton. Sans doute passa-t-il devant l'autre loup, mais il ne s'en rendit pas compte : déjà il était passé à autre chose.

Le grand loup rouge au prénom de fleur entreprit d'insérer le long bâton dans ce terrier trop petit pour lui. Il aurait dû renifler attentivement, seulement, le parfum du printemps embrumait beaucoup de choses et...Amarante était quelqu'un d'affreusement tête en l'air. Tête à claques aussi, mais c'est un autre débat. Ainsi, le loup de l'air se mit à fouiller le terrier. Il espérait y attraper un quelconque serpent dont le venin lui aurait servi de base pour ses antidotes. Ah maman nature est si bien faite ! Il faudrait que les autres l'aiment plus que ça.

Soudain le bâton s'immobilisa. Étrange, il n'avait pas prévu sentir une telle force au bout de cette maudite branche. Immédiatement, Ama compris que quelque chose clochait, et instinctivement, il lâcha vite prise avant de reculer de plusieurs pas, la mine mal assurée. "C'est quoi ce bordel..." maugréa-t-il entre ses dents. Sans plus attendre, un râle quasi fou émana de la cavité, et, s'en suivi l'apparition d'une furie rousse, grognant toutes dents dehors, une mousse blanche et abondante coulant le long de ses babines. "Oh merde, merde, merde.." s'insurgea Amarante comprenant sur quoi il venait de tomber.

Un renard. Et un malade en plus ! Ces bêtes, pourtant proches des loups avaient ce petit handicap biologique qui faisait que, allez savoir pourquoi, ils déclenchaient plus que les autres bêtes ce que l'on appelle communément la Rage. L'ennui certain de cette maladie se trouvait dans le fait qu'une seule morsure suffisait à vous contaminer. Et, comme si haleter, baver, et devenir particulièrement agressif ne suffisait pas, il est bien évident qu'à moins d'un traitement rapide de la morsure, vous crevez dans les plus brefs délais. Ça pose l'ambiance.

Amarante recula un pas, deux pas, trois et...alors qu'il se retourna violemment avec l'intention formelle de prendre la fuite face à cette créature aliénée, il se retrouva museau à museau avec l'autre de la Terre. Toujours là lui ? Pas le temps d'y penser, il planta ses yeux de sang dans le regard vert de son interlocuteur :

- Cours. Genre, maintenant.