« Aïeuh ! »
Ce cri de protestation indignée brisa le silence glacial qui planait sur la Vaste Plaine ce matin d’hiver. La veille, une légère tempête de neige avait balayé les dernières traces du précédent été, maintenant complètement anéanti par le froid manteau blanc qui s’étendait sur toutes les terres d’Estryä.
Mais revenons un peu sur l’origine de cette bruyante contestation : parmi toute cette blancheur, on parvenait à distinguer une tache bleutée. Launysk. Voilà comment elle s’appelait. Et cette tache venait justement de se planter une écharde égarée dans un coussinet. Alors elle essaya de se l’enlever avec le plus de délicatesse possible en marmonnant entre ses crocs :
« Chaleté de bout de bois, y a que chur moi que cha tombe des trucs comme cha ! Franchement, t’aurais pas pu aller te planter ailleurs ? Nan mais je rêve quoi… »
Après avoir longuement bataillé contre ce qui, pour ‘Nysk, était devenu le pire nuisible que Dame Nature ait inventé, elle continua sa route à travers la poudreuse, en relevant bien haut ses fines pattes et en scrutant le sol, ce qui lui donnait un petit air d’échassier.
De gros nuages s’amoncelèrent dans le ciel gris.
« Oh oh… Ça, c’est les dieux qui nous préparent une chute de pellicules géante ! »
Oui, Launysk a toujours eu des expressions… originales.
La louve aux tons de bleu se mit à fredonner une chansonnette improvisée. Il fallait préciser que la belle femelle avait une voix exceptionnelle. Elle ne ressemblait à aucune autre : les sons qui sortaient de sa gorge évoluaient dans l’espace tels des volutes de musique. Son timbre vocal était plutôt mezzo-soprano mais il pouvait parcourir beaucoup d’octaves, allant du soprano le plus cristallin à l’alto le plus puissant. Son accent langoureux, nonchalant et coulant était reconnaissable entre mille. Ce qui n’était pas surprenant, puisque ‘Nysk n’était pas originaire d’Estryä.
Une brise glaciale vint ébouriffer le pelage fourni de notre folle, sans pour autant la faire frissonner, puisque son poil était conçu pour les grands froids. Cette météo lui apporta d’ailleurs une pensée nostalgique : le climat de ses terres natales ressemblait beaucoup à celui de cette journée. Comme si des forces invisibles avaient choisi ce moment pour rappeler à Launysk son passé, et qu’elle était une étrangère ici. L’éternelle insouciance de son regard disparu quelques instants pour laisser place à une profonde tristesse… Qui disparu aussitôt lorsqu’elle vit un lapin des neiges courir à quelques longueurs de queue de là.
« KYAAAAAAAH ! »
Hurla-t-elle en bondissant sur le rongeur.
Evidemment… elle le rata. Mais elle ne voulait pas chasser, juste s’amuser avec ce petit être effrayé. Launysk lui courra donc après pendant environ une dizaine de minutes, jusqu’à ce qu’elle en eût marre et parte à la recherche d’un autre divertissement.