C'est dans un relief montagneux et dangereux qu'une silhouette d'une louve un peu "rougée" apparaît. Cette silhouette ne fait aucun mouvement, pas le moindre petit poil de la fourrure bougeant. C'est un silence d'or qui règne autour de Kenya, un silence lui étant précieux. Kenya a toujours aimé la solitude. Un loup normal serait déjà parti, mais pas Kenya. Elle a besoin de s'isoler. Elle n'aime pas être accompagnée ici, car c'est toujours un imbécile essayant tout simplement de la démoraliser ou un inconnu. Elle pense à toute sa misérable vie, surtout à son frère qui l'ignore. A vrai dire, elle ne sait pas si cela l'affecte ou lui fait ni chaud ni froid. C'est pour cette raison qu'elle s'isole ici pour réfléchir longuement. Elle ne bouge pas, mais entends tout ce qui se passe autour d'elle. D'ailleurs , elle entend quelque chose bouger vers elle, elle se prépare donc à se retourner et à tourner les crocs.
Puis, soudainement, elle se retourna, se hérissa le poil et montra les crocs en couinant un grognement.

La louve s'était aventurée au sommet d'un chemin étroit sur les falaises escarpées. Un terrain difficile et dangereux pour les bêtes des forêts, et Kosovo ne pouvait se vanter d'être un bon alpiniste. C'est pourquoi le loup brun la suivit de loin, l'observant, peu désireux de déclencher un combat en altitude, alors que la terre se perdait loin en bas. Le sol caillouteux crissait sous ses pattes, abimant ses coussinets plus habitués à la fraicheur de l'herbe. Ici, aucune humidité, rien qu'une terre stérile et de la roche friable.

La louve, enfin, s'arrêta. Elle s'appelait Kenya, et elle était de son clan. Kosovo savait par les rumeurs sa solitude qu'elle entretenait, et le peu de paroles qu'elle échangeait. Mais ce n'était pas important ; ou plutôt, cela pouvait l'être si le loup brun parvenait à retourner ce côté taciturne contre la louve, s'il parvenait à la toucher pour lui faire entendre ce qu'il avait à dire. Elle reprit sa marche.
Kosovo flaira le vent qui lui portait l'odeur de sa sœur de clan. Elle sentait la peur, l'indécision. Mais elle était forte, il le savait, la solitude rendait fort, résistant.

Kenya s'arrêta soudain à nouveau, attendit quelques secondes, puis se retourna, le poil hérissé, se mettant à gronder. Kosovo leva les yeux au ciel avec un sourire amusé. Bien entendu, il aurait pu diminuer l'ouïe de la louve afin de l'approcher sans se faire repérer, mais quel meilleur moyen de se faire attaquer en retour ?
Le loup brun s'avança alors pour la rejoindre sur le sentier, d'une démarche naturelle et détendue, la tête près du sol tout de même, pour surveiller son équilibre. Il s'arrêta néanmoins à quelques mètres de Kenya, pour ne pas l'apeurer, ne pas paraître agressif. Sa queue battait contre ses pattes arrières comme celle d'un jeune chiot avide de jeux. Comme toujours il se tenait droit, le museau haut maintenant qu'il avait stoppé sa marche. Ses yeux jaunes la fixèrent un instant et il tacha d'ignorer les grognements de la louve rousse.

- Ne t'en fais pas, je ne suis pas là pour t'espionner, ni pour me battre, dit enfin Kosovo d'une voix franche.

Il savait son ton calme et agréable, c'était une bonne façon d'aborder les louves qui préféraient souvent la franchise et la maîtrise à des grognements mielleux et hypocrites.

Kosovo pencha la tête sur le côté, la gueule à-demi ouverte dans une attitude abasourdie.

"Des loups comme moi ?" songea-t-il.

Il ne demanda pas à la louve ce qu'elle entendait par là, son ton était suffisamment méprisant en tout cas pour lui assurer que la réponse ne lui plairait pas. Le dos tourné, Kenya s'allongea sur le sol en lui grognant une dernière menace qui fit sourire le loup brun ; si elle prenait la peine de le mettre en garde, peut-être n'était-elle pas aussi indifférente à sa présence qu'elle voulait bien le faire croire.
Kosovo s'assit, sans avancer ni reculer. Silencieux, il continua de l'observer un moment. Elle semblait lasse. Était-elle triste ? Mais en voyant son ventre se soulever à une allure régulière, Kosovo dut bientôt conclure que Kenya n'avait effectivement rien à faire de lui, ce dont le loup brun n'était pas habitué. Est-ce qu'il l'énervait ? Est-ce qu'il l'effrayait ? Il n'arrivait pas à le deviner, si bien qu'une ride apparue bientôt sur son front, entre ses sourcils froncés, alors qu'il cherchait toujours une façon d'aborder cette louve fière et solitaire. Il fallait pourtant qu'il réussisse à lui parler.

Les minutes passant, le soleil se fit plus sec et brûlant, faisant naître dans l'esprit de Kosovo un état de somnolence. Il finit par s'allonger lui aussi, là où il se trouvait. Il se coucha sur le flanc avec un soupir de délice, offrant son ventre à la chaleur délicieuse du début d'après midi. Sa queue balaya la poussière derrière lui, il ferma les yeux et étendit ses pattes pour mieux profiter de la terre chaude.

- Il est tellement agréable de faire une sieste loin de tout, murmura-t-il pour lui même pour ne pas déranger la louve.

Il aurait bien le temps de tenter à nouveau de lui parler quand elle se réveillerait. Kosovo avait beaucoup de mal à résister à l'heure de la sieste, ce qui était bien connu de son entourage et en irritait plus d'un. Il ne bougea plus, tendant seulement l'oreille pour le moment où il percevrait un mouvement de la part de Kenya.

Kosovo la sentit plus qu'il ne l'entendit approcher et roula sur le côté lorsqu'elle lui envoya un nuage de poussière en pleine figure. Il se redressa aussitôt sur ses quatre pattes, éternua, et la fixa d'un air incertain. Elle avait levé une patte menaçante et lui lançait un regard flamboyant.

- Bon, la belle aux bois dormants, on se réveille ! lui cracha-t-elle. Qu'est-ce tu m'voulais ? J'ai pas que ça à faire !

Le loup brun sourit mais garda tout de même ses distances. Ainsi, elle acceptait tout de même de l'écouter. Kosovo reprit une position assise et détendue, afin de ne pas paraître impressionné par ces griffes pointées vers lui. Sa queue vint s'enrouler autour de ses pattes tandis qu'il tâchait de choisir ses mots avec soin.

- Je ne voulais pas te déranger, commença-t-il enfin. Je voulais juste te parler, rien de plus. A vrai dire, je pensais parler à quelques autres loups d'un projet qui me tenait à cœur. J'ai pensé que ce projet pourrait peut-être t'intéresser, c'est pourquoi je suis venu te voir en première.

Il lui sourit en penchant la tête sur la gauche.

- Je n'ai pas l'audace de penser que je sais tout de toi, loin de là. Mais... je me suis dit que peut-être...

Kosovo haussa finalement les épaules et ajouta d'un ton entendu et presque soumis :

- Mais je ne peux pas t'obliger à m'écouter, j'attends ta réponse.

Et il ne bougea plus, dardant son regard jaune sur elle, avec intensité. Il attendait simplement d'avoir le droit de continuer. Si elle refusait, alors il partirait sans demander son reste. Il ne pouvait et ne voulait pas la forcer. Et surtout, il ne voulait surtout pas qu'elle pense qu'il se croyait supérieur à elle.

"-Je ne voulais pas te déranger..."

Elle leva les yeux en l'air, signifiant d'une façon très malpolie "C'est déjà fait!" Puis elle regarda à nouveau Kosovo, qui parlait encore.

"Je voulais juste te parler, rien de plus. A vrai dire, je pensais parler à quelques autres loups d'un projet qui me tenait à cœur. J'ai pensé que ce projet pourrait peut-être t'intéresser, c'est pourquoi je suis venu te voir en première."

Kenya le regarda, pensant que Kosovo essayait de la flatter. Elle était presque prêt à lui décrocher une claque, mais elle se retenu, réfléchissant à ce projet qui le préoccupe tant.

"- Je n'ai pas l'audace de penser que je sais tout de toi, loin de là. Mais... je me suis dit que peut-être..."

Kenya le dévisageait avec des gros yeux. Peut-être quoi?! Il croit qu'elle l'accompagner si facilement, comme le feront d'autres louves? Il l'a pris pour qui, là? Il est sûr de la connaître au moins, pour lui proposer ça, elle qui est d'un naturel solitaire?!

-Je peux savoir quelle est ce projet? disait-elle, le fixant droit dans les yeux, toujours avec un regard dévisageant l'autre.

Cette fois-ci le loup brun ne sourit pas, bien qu'il savait pouvoir se montrer satisfait que Kenya daigne au moins l'écouter. La louve, cependant, restait incroyablement méfiante et agressive, et même si Kosovo s'y était attendu, il ne put s'empêcher de baisser les yeux humblement. Visiblement sa sœur de clan pensait qu'il se moquait d'elle, qu'il cherchait à la prendre de haut.

- Je voudrais créer un groupe, affirma-t-il.

Il pensait qu'il valait mieux ne pas trop en dire tout de suite, mais il devait être clair, et aussi franc que possible avec Kenya, il le savait. D'autres lui auraient sans doute posé beaucoup moins de problèmes, mais la louve rousse l'impressionnait et il se sentait le besoin grandissant de la voir accepter.

- Je ne cherche pas une compagne, ajouta-t-il rapidement et fermement, le regard plus dur. Je cherche des loups et des louves qui, je l'espère, pourront se faire confiance les-uns les-autres. La confiance est de moins en moins estimées de nos jours, clan ou pas clan.

Du coin de l'œil, Kosovo surveillait les pattes aux griffes frémissantes de son interlocutrice, prêt à reculer au moindre accès de colère. Il n'était pas là pour se battre, et s'il répondait à l'une de ses attaques, alors il pouvait dire adieu à Kenya et à son tempérament fort. Ne voyait-elle pas qu'en se joignant à d'autres loups sa faiblesse deviendrait sa force ? Elle avait la trempe d'un leader ; la confiance était tout ce qu'il lui manquait, la confiance en elle, et dans les autres. Elle pourrait alors réaliser beaucoup de choses, Kosovo en était sûr. Mais comment le lui dire sans qu'elle en vienne à penser qu'il la flattait ?